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14-15/10/2021Site Internet
Publié le 15/09/2021
Partir du lieu commun
Débutons par un lieu commun. La période où s’est opérée la sélection de ces vingt projets. Ce moment où «L’expression ‘vivre dans un monde globalisé’ avait brusquement pris un coup de vieux » comme l’observe Bruno Latour(1). En se cloîtrant entre nos quatre murs du fait de la pandémie de Covid-19, chacun a pris conscience de l’importance de son cadre de vie. Il devenait plus facile de le cerner tant il se limitait par les interdictions de sortie et sa spatialité se faisait plus prégnante tant il fallait vivre la même au quotidien et la partager journellement avec «sa bulle». Terme employé par le gouvernement belge pour désigner le nombre de personnes que nous pouvions côtoyer chez nous. Au-delà de cette bulle, les espaces de vie partagés devenaient notables tant ils nous manquaient ou nous contraignaient dans nos comportements. «‘Territoire’, ce mot d’administration, prenait pour les confinés un sens existentiel. Comme si au lieu d’être dessiné de loin par d’autres et comme à l’envers et d’en haut, on pouvait le décrire pour soi, avec ses voisins, à l’endroit et d’en bas», continue Bruno Latour(2). Ce changement de perception a sans nul doute teinté la sélection des vingt projets d’espaces de vie partagés issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette communauté fédérée de la Belgique exerce ses compétences sur le territoire de langue française de la Belgique et représente une surface d’environ 17.062 km2. Elle englobe ainsi la métropole de Bruxelles autant que des villes moyennes et des villages, répartis sur des paysages de bas plateaux et de collines.
La sélection reflète la diversité de ces contextes. Elle valorise des formes architecturales qui améliorent leurs usages, quelqu’en soit l’échelle et le programme. Ainsi, les finitions soignées d’une salle de sport apaisent ; à l’orée d’un bois, la toiture d’une crèche aussi fine qu’un pliage en origami rappelle l’archétype de l’abri ; ailleurs, des espaces transformés en salles de classe et en bureaux vitrés sont comme des fenêtres intérieures laissant traverser le regard et vagabonder les pensées. Tous ces détails nous ancrent à un lieu pour parvenir à mieux s’ouvrir aux autres personnes.
Les parties communes des logements collectifs présentés développent la même capacité à engager la rencontre et créer du commun. DXA.archi réalise, par exemple, une transition fluide et bienveillante entre les parties privées et publiques pour les personnes précarisées des logements multigénérationnels du projet La Perle. Les architectes de LRA insèrent dans un ancien hall industriel des logements superposés en quinconce pour former une rue intérieure centrale éclairée zénithalement. Les proportions et les dilatations de cette rue rappellent celles de rues médiévales ou de médinas. La rue évite ainsi la monotonie, génère la rencontre, initie les récits.
La même efficacité se retrouve dans le projet de Ouest pour le théâtre Le Rideau. L’insertion d’un patio a permis d’unir les cinq bâtiments dans lesquels s’insèrent le théâtre et plus que cela, offre une porosité visuelle entre les différents espaces qui le composent: de la rue jusqu’à l’espace de représentation. A Fosse-la-Ville, les architectes de RESERVOIR A parviennent à conjurer la logique spatiale introvertie du domaine d’un château en créant un axe dans la diagonale du terrain sur lequel s’adosse le nouveau bâtiment, ouvrant ainsi le parc à la communauté et le liant à la ville.
Une série d’autres projets se fondent sur la participation citoyenne pour qu’ils 'fassent communauté’. C’est le cas notamment de plusieurs espaces publics comme le ‘tapis urbain’ déployé par le bureau K2A sur l’une des places d’une des 19 communes bruxelloises. L’élaboration avec les usagers a permis d’aboutir à une intervention sobre valorisant la force initiale du lieu. En s’appuyant sur la concertation publique, le bureau Suède 36 à fait du centre de la petite ville de Saint-Hubert un lieu où l’on s’arrête à nouveau et où l’on se promène. Le projet des Quatre Tourettes à Liège du bureau Du Paysage illustre quant à lui leur «intime conviction que l’échange et la rencontre sont les raisons d’être de l’espace public»(3). Une conviction partagée par B612 pour l’aménagement du parc Fontainas d’un hectare au centre de Bruxelles. Ici, l’architecture des nouveaux programmes s’enterre ou devient marqueur urbanistique pour maximaliser le lien entre ce nouvel espace public et le tissu urbain existant.
Cette participation se trouve aussi en amont du projet, comme dans la commune de Berloz où la programmation et le concours pour une maison rurale multiservices découlent d’une consultation villageoise. La résolution architecturale de l’association momentanée HE-Architectes et Georges-Eric Lantair apporte, par la finesse de sa lecture du lieu et sa résolution, une plus-value à l’espace public, proposant un bâtiment et une placette, s’articulant aux autres figures de référence du village. Une insertion urbaine recherchée également par le bureau V+ qui a transformé la commande de l’extension d’un musée en une activation d’anciens îlots industriels de la vile de Mouscron. Pour ancrer encore cette intervention dans le vécu des habitants, Simon Boudvin, l’artiste désigné pour l’intégration d’œuvres d’art auquel doivent se plier tous les bâtiments publics belges, «envisage cette façade comme une sorte de palimpseste architectural»(4). Il récupère ainsi 30.000 briques sur huit chantiers de démolition des environs pour constituer, avec les architectes, l’enveloppe du bâtiment.
Ces vingt espaces de vie partagés ne se limitent pas à des lieux communs. Ils invitent, par la pertinence des démarches et des caractéristiques architecturales mises en place, à s’arrêter, à échanger, à créer du commun et pour certains, à faire communauté. Puisqu’ils sont pensés et dessinés «à l’endroit et d’en bas», ils représentent autant de pistes pour réaliser une densification de nos territoires bâtis à échelle humaine.
Par Audrey Contesse, directrice de l’Institut culturel d’architecture Wallonie-Bruxelles (ICA).
(1) Bruno Latour, Où suis-je? Leçons du confinement à l ’usage des terrestres, ed. La Découverte, 2021, p92.
(2) Ibidem, p93.
(3) Sophie Dawance, Reformuler la question, in Architectures Wallonie-Bruxelles, Inventaires #2 2013-2016, sous la direction de A-S. Nottebaert et X. Lelion, 2016, p.106-112.
(4) Pierre Chabard, Instance d ’un trajet d ’architecture, in V+ architecture. Documents on five projects, 2015, p. 138
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