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Emmanuelle BornePublié le 06/07/2018
Belgitopie
Faut-il se fier aux expositions internationales, a fortiori à la Biennale d’architecture de Venise, pour appréhender les mouvements de fond et enjeux vitaux qui agitent le monde de l’architecture ? Avec les « Fondamentaux » historiques de Rem Koolhaas et, à l’opposé, les « Nouvelles du front » si contemporaines d’Alejandro Aravena, on était tenté de répondre oui. Mais les « Freespaces » d’Yvonne Farrell et Shelley McNamara laisseront les amateurs de concepts porteurs et de visions engagées sur leur faim tant ils sont composés de propos, et projets, disparates, même si dans la cacophonie se logent des pépites. Nombreux se souviendront des maquettes de cire, sable et béton de Peter Zumthor. D’autres ont loué le parti démocratique du pavillon belge, avec son amphithéâtre reconstituant un Parlement européen idéal « tournant en ridicule l’État-nation en déliquescence » et portant le doux nom d’Eurotopie.
Ayant tranché en faveur du propos politique, ce pavillon a donc choisi de ne pas montrer d’architectures. Et pourtant, s’il y a bien une scène de plus en plus visible, c’est celle que composent, depuis quelques années, les V+, Hebbelinck, Baunkunst, OFFICE, 51N4E… ou encore ADVVT – architecten de vylder vinck taillieu. Ces derniers ont d’ailleurs été récompensés, à la Biennale, d’un Lion d’argent grâce à une scénographie invitant à déambuler dans l’un de leurs projets, une délicate intervention sur un campus psychiatrique à Melle (pp.76-87). S’il ne faut pas confondre les uns et les autres, Flamands et Wallons, jeune garde et vieux loups – qui parfois défendent des architectures irréconciliables – tous ont pour point commun d’avoir rendu ses lettres de noblesse, tout en lui offrant un rayonnement international, à une profession un temps honnie en Belgique, à l’époque notamment où Bruxelles était défigurée par la spéculation immobilière. Il fallut attendre les années 1990 pour qu’il soit de nouveau question de qualité architecturale, avec les premiers concours publics, les « cellules » ou instituts dédiés, sans oublier la figure du bouwmeester, maître-architecte garant de cette qualité. Celui de Charleroi, Georgios Maïllis, voit d’ailleurs dans l’architecture belge un « pragmatisme libéré » défini en partie par un rapport décomplexé à l’histoire de l’architecture. Une chose est sûre : les architectes belges maîtrisent l’art du palimpseste autant que l’enveloppe budgétaire de leurs projets. Entre Histoire et histoires, audace et maîtrise, la scène belge est désormais gage de qualité, d’humanisme et de poésie.
EMMANUELLE BORNE - Edito AA 425
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