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Phineas HarperPublié le 19/10/2015
entrer: Baukunst - "Embrasser les contradictions"
À Spa, Baukunst prend le contrepied des instructions de base pour réorganiser l'ensemble du site sportif de la Fraineuse : aux pavillons dispersés sur le site, ils préfèrent réorganiser les flux, mettre en valeur l'existant et concentrer l'intervention architecturale en un seul nouveau bâtiment créant un dialogue esthétique simultané avec les grands maîtres modernes et le Versailles du XVIIIe siècle.
Les poumons vous brûlent... Les perles de sueur de votre front et de votre cou se vaporisent au contact de la fraîcheur de la forêt. Physiquement éprouvé par l'effort, vous vous tournez vers cette demeure grandiose et son double invisible pour connaître votre temps auprès du juge officiant dans son bureau cylindrique.
C'est le projet de l'agence Baukunst de Bruxelles : un carré surbaissé, adossé à un plan incliné, et relié par le sous-sol à un manoir rénové – en fait, un pastiche du XXe siècle du Petit Trianon d'Ange-Jacques Gabriel à Versailles. Énigmatique, ce duo abrite les infrastructures destinées à l'administration et aux visiteurs de la Fraineuse, un centre de sports d'élite niché au cœur de la forêt spadoise, en Belgique.
L'architecte Adrien Verschuere et son équipe ont décroché ce projet à la suite d'un concours lancé en 2008 et, bien qu'ils aient d'autres réalisations à leur actif depuis lors, il s'agit en fait de leur premier véritable édifice. Baukunst a œuvré sur tout le site : à la fois à l'aménagement paysager, au flux de circulation, aux démolitions et aux restaurations, et leur nouveau centre d'accueil constitue le noyau central qui orchestre tous les éléments.
Les allusions à Mies van der Rohe sont si explicites qu'il n'est même pas nécessaire de les souligner. C'est comme si les architectes avaient dérobé une partie du toit de la Neue Nationalgalerie et l'avaient transposée de Berlin à Spa. Cependant, s'il est vrai que ce centre s'inspire de Mies et de son espace universel, en lieu et place de volumes adaptables mécaniquement, il n'en reste pas moins que ses salles sont très spécifiques, créées à partir de murs en béton isolant spécialement conçu et coulé sur site, d'une épaisseur de soixante centimètres.
Ce projet ne doit pas être considéré comme un autre exemple de cette démarche si souvent adoptée par les architectes occidentaux contemporains en présence d'un bâtiment plus ancien, à savoir la simple juxtaposition du résolument moderne à du résolument non-moderne, utilisant paresseusement le contraste architectural pour remplacer tout dialogue constructif. Ce projet nourrit des ambitions d'une toute autre dimension.
Auparavant, cette maison était isolée dans une mer d'asphalte, parking oblige. Cette disposition conférait un air de grandeur faussement classique à la piste d'athlétisme qui lui fait face, mais ne brisait en rien son isolement. Le projet de Baukunst définit clairement un espace autour de cette demeure, avec un socle de gravier sur lequel repose le faux château. Le centre d'accueil voisin inverse cette tendance, le solide se muant en vide et inversement. Le nouveau toit surplombe un espace d'une grandeur similaire au socle de gravier alors qu'au centre de cet espace, au lieu de trouver un bâtiment qui se dresse fièrement, une ouverture plonge vers une cour en contrebas. Et la figure devient fond, un peu comme si les architectes avaient construit un jumeau du château en antimatière, dont la présence peut être ressentie par son absence.
Tout design grandiose rend les décisions obscures évidentes. Sur plan, la stratégie de Baukunst est si limpide qu'elle en devient inévitable. Toutefois, elle est bien loin des intentions de base du client. Au lieu de répondre au cahier des charges qui mentionnait un ensemble de pavillons dispersés sur le site, Baukunst a présenté le schéma d'un bâtiment unique et multifonctionnel. C'était la bonne démarche, puisque, au fil du temps, un enchevêtrement de bâtiments indépendants avait pris racine sur le site du centre sportif alors qu'aujourd'hui, ce campus bat d'un seul cœur. Et en offrant de multiples espaces de circulation, les architectes apportent une couche subversive de porosité à ce projet. Le centre d'accueil ne possède d'ailleurs ni façade avant ni façade arrière – avec des ouvertures de chaque côté, c'est plus une voûte qu'un édifice, créant ainsi des connexions visuelles et mobiles. Les gens du cru aiment à flâner dans la forêt avoisinante. La direction du centre se sentait partagée sur la présence constante de visiteurs occasionnels et a rapidement suggéré que ce projet soit utilisé pour décourager les promeneurs éventuels d'entrer sur le terrain. Baukunst a exactement pris le contrepied de cette approche : une stratégie d'ouverture pour encourager les mouvements organiques sur l'ensemble du site.
Cette réinterprétation des instructions de base est, en partie, typiquement belge. Les architectes sont encouragés à, voire censés, repenser les hypothèses qui sous-tendent le cahier des charges et proposer leurs propres solutions. Par rapport à la rigueur des cahiers de charge britanniques pour des logements, il est rafraîchissant de voir un jeune bureau réécrire les règles de cette façon afin d'œuvrer dans une visée plus sociale.
Pour Verschuere, cette politique avec un p minuscule est au cœur de la praxis de Baukunst. « Je ne crois pas en l'architecture pour le bien de l'architecture », insiste-t-il, rejetant les créateurs qui aspirent uniquement à produire des bâtiments «superficiels». «L'architecture doit servir d'autres desseins. Notre travail consiste à tisser de nouvelles relations entre les personnes, les choses et la façon dont elles existent ».
Tout ceci semble relever de la schizophrénie. Le centre d'accueil est extrêmement raffiné, élégamment proportionné et intelligemment détaillé (les architectes se sont passés des colonnes grâce à des subtilités du design), proposant un dialogue esthétique simultané avec les grands maîtres modernes et le Versailles du XVIIIe siècle. En revanche, cette structure rejette toute frivolité cosmétique en faveur d'un pur pragmatisme : une réaction logique dans ce cadre, qui altère un cahier des charges limité afin de fournir le squelette d'un programme plus soucieux du bien public.
Verschuere embrasse les contradictions, il choisit résolument de prendre ses distances par rapport aux identités belges et architecturales traditionnelles. Bruxellois de naissance, il a pratiqué son art exclusivement à l'étranger avant de créer Baukunst. Il participe exclusivement à des concours belges, mais emploie uniquement un personnel non belge. Il enseigne dans une école d'architecture à Tournai, en Wallonie, en se détachant ainsi de la scène architecturale de la capitale. Ces séparations professionnelle et sociale lui permettent de ne pas se voir affubler d'une étiquette de Wallon ou de Flamand, mais lui confèrent aussi la saine naïveté de l'observateur extérieur. « Je suis comme un étranger dans mon propre pays. »
Tant dans le sport que dans l'architecture, nous braquons souvent les projecteurs sur l'athlète star en oubliant toute l'équipe – entraîneurs, managers et physiothérapeutes – en coulisse. Fidèle à son approche subversive, Baukunst entend changer la donne. Ils espèrent que les publications consacrées au projet reprendront une liste de tous ceux qui l'ont influencé, des avocats aux hommes politiques en passant par les sous-traitants. «Il suffit d'une personne pour détruire un projet», constate Verschuere. « Nous devons respecter la contribution de chaque acteur. »Ecrit par Phineas Harper dans le cadre de la publication entrer: qui complète l'exposition éponyme. En librairie dès le 5 novembre.
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