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L'Escaut

Publié le 31/03/2015

Carte blanche : L'Escaut - "Exporting poetry"

© François Lichtlé

L'Escaut intervient depuis dix ans en terre étrangère, principalement en France. C'est l'occasion de développer un réseau de complicités et d'expérimenter des méthodes de travail à distance parfois folkoriques. C'est aussi, et surtout, l'opportunité d'intégrer un environnement de travail généralement bien plus favorable qu'en Belgique, et d'y apporter une touche exotique, liée à la culture spécifique de l'architecture belge, sa dimension artisanale et son souci du détail.

L'activité de L'Escaut au-delà des frontières de la Belgique n'est pas récente. Elle a débuté il y a dix ans par un concours remporté à Fumay, dans les Ardennes françaises, pour l'installation d'un parc de loisirs paysager dans un site industriel désaffecté. Ce projet a été avorté, mais la thématique de la reconversion de l'héritage industriel a ressurgi régulièrement dans la vie de l'agence, jusqu'à nourrir un propos spécifique qui habite tous les projets: entre amour de l'objet trouvé, franchise du matériau nu, et une sensibilité particulière pour l'histoire sociale des lieux.

Ce projet a été suivi, deux ans plus tard, par l'installation d'un équipement culturel provisoire au duché de Luxembourg, dans le cadre de Luxembourg capitale européenne de la culture en 2007. Un an plus tard, ce fut l'installation scénographique au sein du pavillon belge de l'exposition internationale de Zaragoza, en Espagne, en collaboration avec le duo de photographes Felten-Massinger et Jan Fabre. A cette occasion, l'Escaut était confronté à la question première et cruciale de la distance. Contrainte à laquelle l'agence a répondu en délocalisant les deux porteuses de projet! L'échelle du projet et la temporalité de sa réalisation imposait en effet une présence permanente.

En 2011, un autre chantier hors-norme démarre, celui de la concrétisation d'une œuvre originale, mi sculpture lunaire, mi skatepark halluciné, imaginé par l'artiste internationale Koo Jeong A, le tout parachuté sur l'île de Vassivière, au beau milieu de la France. L'Escaut a été invité ici à coordonner les différents acteurs du projet et à assurer la conception technique de l'ouvrage. Pour les mêmes raisons de suivi d'un chantier singulier, une «résidence» devenait opportune, même sur plusieurs mois. Par ailleurs l'occasion de constater que, même à plusieurs centaines de kilomètres de la Belgique, le télétravail en parallèle sur d'autres dossiers est possible, dans une certaine mesure. Et le rituel de la réunion d'équipe hebdomadaire [1] reste un moment privilégié, même à travers les voix distordues et les tronches pixélisées par Skype.

Aujourd'hui, L'Escaut compte trois projets à l'étranger, tous situés en France. Des projets plus classiques, missions d'architecture et de scénographie, pour deux bâtiments neufs et une réhabilitation. Chacun de ces 3 projets est mené en association avec un bureau français. Est-ce un hasard, ou serait-ce la méthode secrète pour percer l'armure et décrocher un marché en France?

Deux de ces dossiers sont développés en collaboration avec l'agence nantaise Raum, partenaire privilégié avec lequel nous développons beaucoup d'affinités. Le chantier du Pont Supérieur, extension du conservatoire régional et pôle d'enseignement supérieur de danse et de musique touche à sa fin. La collaboration, qui aura été de notre point de vue tout-à-fait exemplaire, notamment en comparaison à d'autres expériences, a permis d'assembler certaines idéologies de chaque bureau : sobriété et efficacité rationaliste pour Raum, associé à l'importance pour l'Escaut de l'agencement d'un espace public généreux et appropriable autant autour qu'à l'intérieur même de tout édifice, a fortiori lorsque ce dernier est à vocation publique.

En 2014, on prend les mêmes (agences, principes, etc.) et on recommence, cette fois sur le territoire vendéen de l'Aiguillon, lieu tristement célèbre d'une catastrophe naturelle meurtrière, où l'association se voit confier la mission de maîtrise d'œuvre d'un centre d'interprétation dédié non seulement à cet événement mais aussi plus généralement au littoral. Ici, en plus de la collaboration sur le volet architecture, l'Escaut prend en charge également la mission de scénographie d'exposition.

L'Escaut livre très prochainement un pôle culturel à Reims. Toujours en association, ici avec le bureau lillois Tandem+, mais cette fois en tant que mandataire du groupement. Ce lieu, baptisé par les rémois Le Cellier est un ancien espace de stockage et de négoce de Champagne, réhabilité pour sa partie intérieure (les façades extérieures étant classées) en lieu de création et de diffusion d'art vivant, mais aussi d'exposition et de formation. Le mode de sélection pour le marché de maîtrise d'œuvre était assez inhabituel, car uniquement constitué d'une note méthodologique d'une dizaine de pages, le tout en procédure ouverte. Aucune esquisse à proposer donc, mais plutôt une «philosophie de projet». 143 dossiers avaient été déposés.

Depuis quelques années, l'agence surveille régulièrement les opportunités de marchés sur le territoire français, introduit tout aussi régulièrement des dossiers de candidatures et y est parfois retenue à concourir, que ce soit en association ou non.La sélection d'une équipe, souvent faite sur base d'une esquisse, implique un investissement conséquent en ressources. En France, pour les appels d'offre publics, une phase concours est indemnisée à hauteur du travail à fournir. Les «indemnités» versées en Belgique, pour un niveau de prestations attendu équivalent, ne permettent jamais d'amortir l'investissent en ressources humaines. Par ailleurs, nous constatons que les procédures d'appels d'offres sont souvent mieux organisées et encadrées du point de vue réglementaire. La loi MOP, pour Maîtrise d'Ouvrage Publique en est un très bon exemple. On peut également citer la présence des programmistes et des économistes, métiers quasi inexistants en Belgique. Ils permettent d'une part d'anticiper de manière optimale sur le contenu d'un projet, et d'autre part de soulager l'architecte de certaines lourdeurs techniques, ce qui lui permet d'exercer au mieux son rôle de médiateur. Soulignons également que la meilleure budgétisation des projets, en France, autorise une plus grande qualité d'architecture.
 
Finalement, c'est sur un mode paradoxal que nous évoluons sur le territoire français. La culture architecturale et constructive des architectes belges y est gratifiée d'éloges depuis quelques années, mais de notre point de vue, nous restons fascinés par la qualité du contexte de travail qui y règne. Le fait de passer la frontière nous permet de prendre le meilleur des deux cotés.


 
 
[1] (Que l'Escaut appelle «pow-pow» – cherchez pow-wow sur Wikipédia)

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