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Rotor

Publié le 01/04/2014

Le durable vu par Rotor

Vêtement de protection, masque et pistolet utilisés pendant l'application de mousse d'isolation en polyuréthane. Avec l'aimable autorisation d'ISOwit; Belgique, 2013.
© Istvan Virag

Behind the Green Door est à la base un projet de recherche et d'exposition. La sortie du livre, sorte de catalogue-a-posteriori, marque un moment culminant dans ce processus, non pas nécessairement une fin. L'exposition, montée en 2013 pour le Centre du design et d'architecture norvégien, dans le cadre de la Triennale d'Oslo, est aujourd'hui présentée à Copenhague, au Centre d'architecture danois (DAC), et voyagera peut-être encore.

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Il est difficile de dire comment les générations futures qualifieront notre ère, mais il y a fort à parier que notre aspiration à la durabilité sera reconnue comme un de ses traits saillants. Vu à une échelle de temps plus large, c'est une tendance assez neuve : il y quelques décennies encore, la notion de durabilité n'existait tout simplement pas. Pour l'historien de demain, l'architecture de notre époque constituera un champ de recherche fertile. Des restes d'édifices et des documents d'archives lui montreront comment notre civilisation a tâché, tant bien que mal, de traduire l'aspiration au durable vers le monde réel. Behind the Green Door adopte un point de vue similaire pour étudier comment nous dessinons et redessinons nos édifices et nos villes pour rendre concrète l'ambition d'un monde durable. Le livre ambitionne un certain détachement par rapport au sujet - le genre de détachement qu'aurait un archéologue, un anthropologue venu d'ailleurs - question de rafraîchir notre regard sur une question qui n'est que trop familière. Nous observons des fragments du présent comme si nous venions de les déterrer, en tâchant de garder intacte notre capacité d'étonnement.

Ce projet de recherche trouve son origine dans une question que nous nous posons depuis un certain temps. Dans nos sociétés contemporaines, l'aspiration au durable opère comme une force puissante : elle modèle les processus politiques, économiques, le quotidien des gens. Comment se fait-il que, malgré cela, on observe, tant dans les milieux du design et de l'architecture qu'en général, une lassitude par rapport à la notion, un malaise, une irritation ? Et, une fois ce constat fait, comment prendre cette irritation au sérieux, puis aller de l'avant ? Ce livre tâche d'offrir des éléments de réponse. Le lecteur y trouvera 600 objets qui valent comme autant de pièces à conviction. Il s'agit aussi bien d'objets physiques (maquettes, échantillons, dessins originaux, …) que d'objets digitaux (photos, films, images virtuelles, …). Aucun de ceux-ci n'a été produit pour l'occasion, il s'agit de documents qui existaient pour des raisons différentes que le fait d'apparaître dans notre récit.

Pour constituer cette collection nous avons d'abord étudié une vaste quantité de projets qui se disaient, d'une façon ou d'une autre, durables. Plutôt que de partir de notre propre conception de ce qu'est réellement la durabilité, puis de chercher à des projets qui correspondraient à cette définition, nous sommes partis à la recherche de projets qui se définissent comme tel. Notre champ d'investigation était large ; les projets pris en considération n'étaient pas tous nécessairement architecturaux. Y figuraient également des campagnes de groupes activistes, des produits de l'industrie de la construction, des logiciels permettant de rendre des projets d'architecture plus verts, des initiatives de pouvoirs locaux, des mouvements citoyens, etc. Nous avons limité notre enquête aux cinq dernières décennies : notre attention se porte sur les solutions qui s'offrent de «sauver la planète». Celles-ci n'apparaissent, logiquement, qu'à partir du moment où émerge une prise de conscience plus large du problème environnemental, c'est-à-dire vers la fin des années 1960 selon les historiens du mouvement écologique. De chaque projet sélectionné – décision intuitive mais collective à chaque fois – nous avons contacté les auteurs (agences d'architecture, bureaux d'ingénieurs, groupes industriels, etc.) pour leur demander une liste de documents originaux illustrant le projet. Parmi ceux-ci nous avons ensuite fait une nouvelle sélection, favorisant les objets illustrant le mieux tant les aspirations de ces projets que les défis à leur réalisation. Cette phase laborieuse a résulté en une large collection que nous avons ensuite allégée jusqu'à arriver au nombre de 600 objets, un chiffre assez arbitraire, qui pourtant, intuitivement, semblait juste. Il fallait une réelle multitude pour représenter et faire honneur à la diversité des approches existantes. Il fallait en même temps d'éviter au visiteur/lecteur de sombrer dans un trop grand nombre de récits différents.

Dans le livre, comme dans l'exposition, les 600 objets sont divisés en deux grandes sections. Dans la première, les Tables, ils sont rassemblés en groupes thématiques : des pièces de natures diverses abordent conjointement des sujets similaires, souvent depuis des perspectives fort différentes. Dans la seconde section, la Collection, les objets sont présentés dans une longue séquence ininterrompue, progressant de 1968 à 2055. Telle une réserve de musée rendue publique, cette section reflète le côté aléatoire de la base de données d'origine. Nous avons tâché d'accompagner chaque objet de suffisamment d'information pour que le lecteur puisse saisir clairement les enjeux que ceux-ci représentent. En même temps, nous souhaitions éviter une lecture unidimensionnelle. Chaque pièce exposée a son côté positif, et son revers, et les deux restent apparents. Libre au lecteur de se faire une opinion. Les points de vue de Rotor sont égrainés au fil du livre, en particulier dans la section Tables, mais nous ne sommes pas les seuls à juger, justement. Plus d'une centaine d'experts internationaux ont été invités à donner leur avis sur les pièces. Quelques semaines avant la finition du manuscrit, nous leur avons remis une version provisoire, en les invitant à nous renvoyer des commentaires brefs, à des endroits précis. Ces commentaires ont pour la plupart été intégrés dans la version finale du livre, aux endroits prévus par leurs auteurs. Le lecteur trouvera donc une présentation à voix multiples, qui ne vont pas toutes nécessairement dans le même sens, loin s'en faut. Et c'est tant mieux.

Attribuer le label «durable» à un projet, un produit, n'est possible que si l'on définit avec précision le cadre dans lequel cette qualification est faite. Chacun de ces cadres sous-entend un parti pris par rapport à ce qu'on entend comme des besoins essentiels, avant de pouvoir définir comment y répondre «durablement». La compétition entre ces cadres est un débat fondamentalement politique : elle met en jeu comment chacun définit un monde idéal. Dans la pratique ce débat est rarement mené : on préfère ne pas montrer les dissensions au sein de la même équipe (« tous pour un monde durable »). Par conséquent, ce sont les cadres mollement consensuels qui l'emportent. La course à l'efficacité énergétique, par exemple, a le vent en poupe, justement parce qu'elle est apolitique ; elle permet de ne pas se poser la question de la légitimité des besoins. Elle appelle simplement à faire la même chose qu'avant, avec moins d'énergie.

En confrontant des points de vue différents, parfois opposés, défendus par des acteurs qui, pourtant, revendiquent la durabilité, Behind the Green Door tâche de remettre en scène le conflit d'idées, de redonner vie à un débat devenu anémique. Une multitude d'acteurs tâchent de vous faire croire le contraire mais il n'y a rien qui aille de soi dans la poursuite du durable. Pour autant cela ne signifie pas que cette poursuite soit vaine.
 
Lionel Devlieger de Rotor

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